Mes souvenirs MDS 2013


ETAPE N° 5 : JEBEL EL MRAÏER / MERDANI : 42,2 Km


Ce matin, c'est l'effervescence sur le bivouac. On ne ressent plus cette concentration qu'il y avait les autres jours. Tous les concurrents présents ce matin savent qu'ils vont en finir aujourd'hui, qu'ils recevront la médaille ce soir et qu'ils seront finisher du 28e MDS. On entend des rires, des éclats de voix, des chants, et encore une fois ce matin des gros applaudissements nourris d'émotions pour l'équipe de la goélette qui traverse le bivouac pour se rendre sur la ligne de départ.
J'ai passé une bonne nuit, j'avais relu tous les mails de la semaine afin de faire le plein d'énergie avant d'éteindre ma lampe frontale. Demain, il me restera que 42,2km, un marathon, une étape de liaison pour atteindre la ligne d'arrivée et recevoir cette médaille. J'attendais ce moment depuis 2010. Dès l'aube, je m'active aux rites quotidiens : petit déjeuner, petite toilette et ranger ses affaires. Mais l'objectif ce matin est de rendre ce sac à dos le plus léger possible. Ce soir, nous serons repris en charge par l'organisation et le petit déjeuner de demain samedi nous sera aussi gracieusement offert !!
Je balance presque tout. Ciao ma petite pharmacie, au revoir ma gamelle en alu, bye-bye mes pastilles ezbit allume-feu (très lourd !!), salutje le reste de nourriture que j'avais (barres, gels,...) ; je ne garde que ce que j'aurai besoin pour la course. Je laisse tout cela devant la tente, il ne faudra pas attendre beaucoup pour voir un autochtone embarquer tout cela !! Je ne garde que mon sac de couchage, mes vêtements de bivouac, le matériel obligatoire (fusée de détresse, pastilles de sel, boussole, pompe aspi-venin,...) et l'ensemble des mails reçus, il y a quelques pages (poids !!) mais je n'hésite pas une seconde. J'enfile mon sac sur le dos, il est toujours aussi lourd !!! Non Yannic, il te semble juste toujours aussi lourd, t'es juste à la fin du MDS, t'as le dos juste un peu fatigué... Je contemple le matos laissé devant la tente, il doit y avoir environ un petit kilo... Donc ce sac à dos est bien un kilo plus léger. C'est mathématique, et je m'en convaincs. Le MDS est une affaire de mental !
Je pars en direction de l'aire de départ. Patrick Bauer entame son traditionnel speech du matin. Il évoque les abandons qu'il y a eu sur la longue étape et notamment celui de Laurence Klein, il parle du classement général, du classement féminin et masculin. C'est donc 42,2 kilomètres qui nous attendent ce matin. Il y aura 3 CPs et qui sont à distance +/- égale. Il faudra parcourir une distance de 10,5 km pour le premier CP, ensuite 12km pour le deuxième et 11km avant d'arriver au dernier CP, situé lui à 9km de l'arrivée. Le mot d'ordre aujourd'hui est simple : tout donner et être finisher !! J'alterne course à pied et marche rapide. La température est plus supportable que mercredi, nous devons tounrer autour des 35...40°C, nettement plus respirable que les 55°C de mercredi midi. Les paysages sont moins majestueux que les autres jours. Est-ce qu'on se rapproche de la civilisation ? J'arrive au CP1 avec un bon temps, moins de deux heures. Je ne tarde pas trop et je repars. Après le CP2, on traverse une immense étendue désertique (évidemment !) et au bout, je vois des dunes, des grosses dunes et l'hélicoptère dans le ciel. Cela m'interpelle car l'hélico, je le voyais le matin au départ des étapes, et puis il partait à l'avant de la course pour suivre les premiers. A cette heure-ci, ces derniers doivent être bien loin, entre le CP3 et l'arrivée et certainement déjà arrivés pour certains. Donc, pourquoi est-il là à voler au-dessus ? J'arrive au bout de ce plateau désertique, je vois une balise à gauche qui m'emmène sur un terrain sablonneux mou. Cela monte, cela monte fort. Le passage monte vers la crête de la dune. Au sommet, le paysage est impressionnant et me casse aussi tout l'enthousiasme que j'avais depuis le départ ce matin. Un ciel bleu uni profond, des dunes à perte de vue d'un jaune ocre, la combinaison est magnifique, la nature est belle. Mais la nature me casse les pattes. Je n'avance pas. Courir, je n'y pense même pas, alors il faut marcher. Il faut faire de toutes petites foulées.... je prends mon road-book, j'essaye de me repérer. Il y en a pour 2,9 kilomètres. En marchant bien, j'en aurai pour une heure. Mais, pour moi, tenir du 3km/h dans ces dunes, cela relève de l'exploit !! Ce sera pour plus d'une heure. Je comprends maintenant le vol de l'hélico au-dessus de ma tête. Il passe plusieurs fois, je salue le caméraman qui est assis à la porte latérale. La vue doit être magnifique là haut. Il y a pas mal de concurrents comme moi dans cette zone.
Patiemment, j'arrive au bout de ces dunes ; je retrouve un terrain plus dur, mais plus caillouteux, et je me dirige vers le CP3. Ce dernier CP est à 9 kilomètres de l'arrivée. Avec les autres concurrents présents au CP3, nous recevons les applaudissements des commissaires, leurs encouragements pour le dernier tronçon.
Un commissaire me dit :"tu vois le piton rocheux là-bas ? il y a le vieux village et le bivouac est derrière". En vieux renard du désert (!!), je lui demande :"et le piton est à combien de kilomètre ?". Il me répond :"2...3 km, allez courage t'es au bout". Je lui réponds en rigolant :"pas la peine de me mentir pour brouiller les distances, s'il n'est pas à 2,5km je fais demi-tour et je viens te casser la figure !!". "T'inquiète, go pour 9km et encore Bravo !!". Je repars.
J'effectue ce dernier tronçon à fond de balle, enfin tout est relatif, mais je donne tout. En bord de piste, je suis applaudi par les familles de concurrents qui sont venues assister à l'arrivée du MDS. C'est possible. Il y a également des villageois. J'arrive à ce piton rocheux à contourner. Je traverse le vieux village abandonné, à la sortie du village, j'arrête aussi net ma course. Je me rends compte qu'il est perché en hauteur, et je contemple à présent un plateau gigantesque en contrebas. Je peux voir à des kilomètres au loin. Le cercle des tentes est là, je vois les gros boudins blancs du portique de l'arrivée. De mon point de vue, je me rends compte de l'étendue de ce bivouac. Les trois cercles concentriques de tentes noires, à l'écart les tentes blanches de l'organisation, de l'hôpital, des journalistes. Come on Yannic, t'es à 7 kilomètres du bonheur. Dans 7 bornes tu seras finisher de ce MDS !! Je quitte le village, et j'entame la descente par un petit chemin de cailloux et de rochers.
Je cours autant que je peux, chaque concurrent devant moi devient un objectif à atteindre, certains courent, mais beaucoup marchent. Je les rattrape un à un et les dépasse. Et quand la respiration ne va plus, je marche mais l'envie de finir en courant est trop forte.
Enfin, je vois la dernière balise.
Il y a beaucoup de monde à l'arrivée. Tout ce beau monde pour moi ? Je vois Patrick Bauer au milieu du portique, il est à 300 mètres. Il m'attend. J'entends les cris et les applaudissements des concurrents présents à l'aire d'arrivée qui m'accueille. Voilà, je suis finisher de ce 28e MDS.

Jour de Repos

Un jour de repos sur le MDS, tout est relatif, tout dépend de comment vous franchissez la longue étape. Les plus rapides, disons ceux qui arriveront avant minuit, pourront profiter d'une vraie journée de repos, le jeudi. Les autres, c'est à vous de voir... Certains auront pris la décision de couper la longue étape en 2, et auront dormi quelque part dans le désert, à un CP ou entre deux CPs, et auront fait des efforts encore le jeudi ; d'autres, comme moi, auront avancé, couru jusqu'à plus pouvoir et arriveront fou au long de cette journée du jeudi. En ce qui me concerne, je suis arrivé vers 08h30 du matin, fatigué sous quelques applaudissements d'encouragement des commissaires présents sur la ligne d'arrivée. Mais tout au long de la journée du jeudi, quand l'heure avance dans l'après-midi, la zone d'arrivée se remplit de plus en plus de concurrents (ceux arrivés depuis bien longtemps) et attendent les derniers pour leur faire la haie d'honneur, une salve d'applaudissements, car c'est finalement ces concurrents là, les plus extraordinaires, les plus méritants.
Après le coup de téléphone, je m'effondre sur mon sac de couchage pour m'étendre. Un moment de partage avec les copains de tente. Gérald est arrivé vers 05h00 du matin, marcheur, il aura mis moins de 24 heures pour parcourir cette 4e longue étape. Chacun raconte son aventure, malgré les heures d'efforts, je n'ai pas envie de dormir. Le deuxième suisse de la tente, Thierry, très discret mais toujours très efficace, sur le bivouac et en course, profite d'un moment où nous ne sommes que deux sous la tente. Il me donnera deux tranches de viande de grison séchées. Un régal, ce goût de viande salée. J'en profite pour effectuer une petite lessive de mes affaires. J'utilise le cul d'une bouteille, un peu d'eau avec du savon. A tour de rôle, je trempe mes chaussettes, mon short, mon tee-shirt et le caleçon. Le tout dans la même eau bien entendu, il faut économiser !!
La journée sera rythmée par les applaudissements et les cris qui proviennent de la ligne d'arrivée.
Le spectacle sur le bivouac est encore une fois inédit. De plus en plus de boîteux, des momies qui déambulent avec leurs bandes de sparadrap sur les épaules, aux cuisses ou sur les genoux. Mais, tous les visages sont rayonnants, heureux. Heureux d'avoir accompli quelque chose d'extraordinaire, chacun à son échelle bien entendu, mais ce soir, c'est comme si tout le monde avait trouvé ce qu'ils étaient venus chercher.
Au cours de l'après-midi, un commissaire de bivouac me remet une liasse de papier : tous les messages des personnes qui m'ont suivi au cours de cette longue journée. Des messages à 10.000 kcal !!  C'est avec un moral reboosté à 200% que j'enfile mon dernier repas chaud, en effet, dès demain soir, nous serons repris en charge par l'organisation en pensant à l'étape du lendemain.
Un marathon nous attend, 42,2km. Une ballade de santé avec ce que nous venons d'enfiler comme kilomètre cette semaine. Je ne ressens aucune inquiétude, aucune appréhension ce qui n'a pas été le cas au départ du marathon de BXL ou de Paris.

Etape 4 - partie 2

ETAPE N°4 : TAOURIRT MOUCHANNE / JEBEL EL MRAÏER : 75,7 Km


La première partie de l'étape est ci-dessous et il faut prendre à partir du bas pour voir la chronologie des évènements depuis le départ de la course.

Je quitte le CP3 alors que le soleil se couche. Je suis seul. Deux concurrents à une centaine de mètres devant moi, et personne derrière moi. Très vite l'obscurité prend ses droits et la température chute (enfin) relativement vite. Il fait respirable, il doit y avoir entre 25 et 35°C. La pause de l'après-midi m'a permis de me reposer. J'ai de bonnes sensations, le terrain est dur, je me mets à courir. Au loin, je vois les lucioles (lampe floue accrochée au sac à dos de chaque concurrent), ainsi que les balises. Chaque point lumineux deviendra un objectif à atteindre, et je cours de luciole en luciole. Certains concurrents m'applaudissent, je dois être le seul concurrent à courir à cette heure-ci à leur hauteur.
Après quelques heures, j'aperçois au loin les lumières du CP4, et j'entends le bruit des groupes électrogènes qui génèrent l'électricité nécessaire au fonctionnement du CP.
J'arrive au CP4 (45,2km) bien avant la barrière horaire fixée à minuit. Il y fait calme malgré la présence de beaucoup de personnes. Des sacs de couchage sont étendus, certains feront étape ici et repartiront demain matin. La tente médicale est également fortement remplie : des déshydratations, des ampoules à soigner, des tendinites, des coups de mou,... Je retrouve Gérald, le suisse qui fait sa pause repas.
Je décide de faire la même chose. A côté de moi se repose l'équipe de Transavia, ceux qui transportent la goélette avec les enfants handicapés. Mais à cette heure-ci, ils n'ont plus les enfants et non plus la petite charrette. Je m'active pour faire vite ma petite bouffe. Je voudrais repartir avec eux.

Entre le CP4 & le CP5, il y a un cordon de dunes de plus de 10km à franchir, et il faudra suivre le laser. L'équipe Transavia repart alors que je n'ai pas tout fini...Je termine vite, je remballe, je pars en courant dans le noir pour les rattraper. Ils marchent d'un bon pas, en cadence, ils ont tous des bâtons de trekking. J'arrive à leur hauteur. On fait connaissance. C'est fou ce qu'un "belge" peut faire du bien à des français en pleine nuit au beau milieu du désert... Ils sont super organisés : il y a un leader (qui change entre chaque CP), qui impose la cadence et qui donne les ordres pour boire ou manger un bout de barre. Toutes les 10 minutes, c'est une gorgée d'eau, un bout de barre ou encore une pastille de sel. C'est motivant. Les dunes sont impressionnantes. En tout cas, l'idée qu'on s'en fait. Il n'est pas loin de minuit, nous avançons qu'à la lueur de nos lampes frontales et il fait noir, pas de lune cette nuit.
On avance, soudain, à deux mètres, c'est le noir total. On est au sommet d'une dune, on voit encore au loin les lucioles et les balises. On imagine une pente et on ne voit pas le bas de la dune. On s'élance, on crie, on rit, les pieds s'enfoncent jusqu'aux mollets, les secondes passent et nous sommes toujours dans la pente, enfin nous arrivons au bas de cette dune. On fait le compte du groupe : 9 personnes présentes, tout le monde est là. On peut repartir. A présent, c'est une autre dune qu'il faut gravir. Pas évident de gravir une pente importante avec du sable mou. Je m'épuise. Enfin, au-dessus, on revoit les lucioles et le cap à suivre.

Je vais rester un bon bout de temps avec ces gaillards mais sans bâton je ne peux pas avancer aussi vite qu'eux. Je les laisse partir devant moi. Je me retrouve seul et profite de ce moment tout simplement magique et prend vraiment conscience de la chance que j'ai de vivre tout cela, au-delà de la douleur. La voie lactée est immense, le silence est apaisant, je vis un long moment de plénitude. En continuant, j'arrive près d'un bosquet et deux personnes sont allongées. Je m'arrête également. Je me couche et utilise mon sac à dos comme oreiller. Je ne veux pas dormir, je veux juste contempler le spectacle céleste qui m'est offert.
Je repars, et je me remets à courir en apercevant les lumières du CP5. J'ai parcouru 54km, il ne reste plus qu'une vingtaine de kilomètre. Je vais terminer cette étape. J'avais envisagé de dormir la nuit. En Belgique, ils vont être fiers de ma (petite prouesse) quand ils se réveilleront demain matin et constateront que j'aurai atteint le bivouac. J'arrive au CP5, je prends mon eau. Je reçois quelques mots d'encouragement des commissaires. cela fait vraiment du bien. Je remplis mes bidons et repars aussi vite dans la nuit. Je me remets à courir. C'est dingue ce que le corps humain peut avoir comme ressource. Je suis en route depuis ce matin 09h00, et je cours au beau milieu de cette nuit étoilée.
Je dépasse un concurrent. Je le reconnais. C'est Carl, un canadien super sympa, avec qui j'ai terminé la première étape. Il marche avec ses bâtons. Après une centaine de mètres, je me dis à quoi bon courir, profite de ce moment, attends le et terminons ensemble. On se retrouve tous les deux contents de continuer ensemble. Il est seul depuis le début de la nuit. Il trace sa route. Le terrain est fort caillouteux, et nous suivons une piste étroite. Il marche devant moi, je le suis. Sans bâton, comme avec l'équipe Transavia, j'ai des difficultés à suivre le rythme, mais je m'accroche. Après plusieurs heures de marche soutenue, nous arrivons au CP6 vers 03h00 du matin. Je n'en peux plus, j'ai quelques vertiges. A peine franchi le sas du CP, je me dirige vers la tente du doc. Carl, est désolé, il me dit que s'il s'arrête, il ne pourra pas repartir. Je lui dis qu'il n'y a pas de soucis, je comprends tout à fait, je l'encourage à partir sans moi. Il repart.
A la tente du doc, il y a un concurrent allongé sous une couverture de survie, et deux baxters en suspension. Le doc m'examine. Il me dit : "Ecoute, le copain ici est plus urgent que toi, je dois absolument m'occuper de lui avant que son cas ne s'aggrave". Le doc est calme, et le concurrent allongé aussi, sauf que pour lui, le mot "calme" est plutôt inquiétant.
Après un bref examen (pouls, tension, yeux), le doc me dit que je suis dans un stade avancé de déshydratation. Je dois admettre que je n'ai pas assez bu au cours de la nuit et pas assez mangé.
Il me met une bouteille d'1,5L devant moi et ajoute des sels minéraux : "Quand tu auras bu toute la bouteille, et uriné, alors je te laisserai repartir". "Bordel !! il me reste 10km". Je bois, c'est infâme. de l'eau tiède au goût salé. Bon je prends mon mal en patience, et commence par boire quelques gorgées. Je ferme les yeux pour me reposer...une dizaine de minute. Erreur !! Je me réveille en sursaut. Le jour se lève. Hagard, je regarde autour de moi. Le copain inanimé de la nuit n'est plus là, c'est un autre doc qui vient me voir : "En forme ? en tout cas t'as bien ronflé !!" Ma bouteille est quasiment vide (me souviens pas d'avoir bu...) et j'ai une fameuse envie de me soulager. J'ai le moral dans les talons. A 03h00 cette nuit, j'étais à 10km. Il est maintenant 6h00, j'ai les jambes raides, il fait très froid et j'ai encore 10 bornes à effectuer. Je rechausse mes godasses et l'ampoule me fait un mal de chien.
En boitant, je repars avec pour la première fois le sentiment d'avoir ma dose comme on dit.
Moment de réconfort, le lever de soleil derrière les crêtes des montages au loin, et la gifle de chaleur qui va avec.
En cours de route, je rattrape Denis, celui avec qui j'avais mangé à l'hôtel d'Orly avant le départ. Pour lui c'est difficile également. Les genoux et les ampoules rendent son épreuve inoubliable.
Enfin, après 2h20 de marche, j'arrive au bivouac. Démoralisé, je n'arrive pas à savourer le fait que je viens de parcourir pour la première fois une distance de 75km. Quand j'arrive à la tente, tout le monde est là. Gérald aussi. Il est arrivé entre 5 et 6h, il m'a dépassé quand je pionçais au CP6.
Eric avait son téléphone avec lui, il y a un peu de réseau là où on est. Il me le donne. Encore aujourd'hui, je le remercie. J'appelle Brigitte. "Tu as fait le plus dur !! Il est hors de question d'arrêter si prêt du but, il y a un monde de dingue qui te suit en Belgique. Tu auras toute la journée pour te reposer et demain tu le finiras, tu l'as voulu." Ces mots m'ont fait beaucoup de bien. Quelques jours, après, je prendrai la mesure exacte de ses paroles.
De retour à la tente, Thierry me filera deux tranches de viande de Grison. Un régal. J'ai la journée pour me reposer.
Dans l'après-midi, je vais mieux. Le facteur est passé. J'ai un dossier de mails. Tous les amis en Belgique, la famille, tous, ils m'ont suivi durant cette longue étape et leurs messages sont extraordinaires. Je fais le plein d'énergie positive avant le marathon de demain.


Etape 4 - partie 1

ETAPE N°4 : TAOURIRT MOUCHANNE / JEBEL EL MRAÏER : 75,7 Km


Nous y voilà !! Ici, c'est du sérieux...et tu vas en ch.... Voilà ce que je me suis dit au départ de la longue étape. Certains disent "La longue étape", d'autres parlent de la "Mythique" du MDS. Comment appréhender une telle distance, moi qui n'avais parcouru que deux marathons sur le bitume.
Pas de conseils à donner me disent "les anciens", faut mettre un pied devant l'autre et faire le bilan de ta vie. Tu as 34 heures pour la faire alors....profite !! La seule chose à retenir, ne pas raisonner en kilomètres, ni en heure, mais juste en CP (check-point) à passer. Il y en a 6, soit tous les 12km environ.
Je me souviens très bien de l'ambiance qui régnait sur le bivouac ce matin-là. Le bivouac n'était pas aussi bruyant que les autres matins. La concentration pour certains, l'inquiétude pour d'autres, la peur pour d'autres encore. La peur de ne pas la finir, la peur de ce rendez-vous avec soi-même.
Des applaudissements soudains viennent réveiller cette atmosphère particulière. C'est l'équipe de Transavia (des commandants de bord et stewarts) qui se met en marche vers la ligne de départ. Ils sont en équipe, huit gars. Leur truc à eux, c'est de pousser une charrette munie d'une roue et d'un fauteuil, deux bras à l'avant et deux bras à l'arrière. Ils emmènent avec eux des enfants handicapés sur le MDS. Les enfants se relaient sur le parcours emmenés pas les jeeps de l'organisation et le soir, ils sont pris en charge par une équipe spécialisée et dorment dans un "confort" supérieur au nôtre...Depuis le départ, cette équipe force le respect de tous. De par cette charrette à pousser, mais aussi et surtout le projet qu'elle représente. Et ce matin, c'est tout le bivouac qui spontanément se met à les applaudir sur la piste qui mène à la ligne de départ.
Les 50 premiers concurrents partiront 3 heures après les autres. C'est l'occasion pour nous, les tortues, de voir ce que ces extraterrestres font dans le désert, car bien sûr les premiers du classement arriveront les premiers au bivouac, ils auront remonté et dépassé toute la caravane des concurrents. Sur cette vidéo, Mohamed Ansahal me dépasse, je n'ai pas encore passé le CP3... Il est tout simplement impressionnant !!



Si mes souvenirs sont corrects, il franchira la ligne d'arrivée avant 20 heures...

Au brieffing du départ, je retiens deux informations : le CP3 doit être passé avant 18heures et le CP4 avant minuit. 36km pour le CP3, c'est jouable...les jours précédents, j'arrivais au bivouac avant 17 heures . Et le CP4 se situe au kilomètre 45,2...c'est jouable aussi. Comme d'habitude, je pars modestement. L'essentiel est de terminer cette longue étape dans les délais et sans bobo. Je franchis les deux premiers CPs sans trop de problèmes...du moins  c'est le souvenir que j'en ai aujourd'hui.
Mais ce mercredi il fait chaud, il fait très chaud. Nous avons un long plan incliné à monter, c'est du sable mou, je m'épuise et je n'ai presque plus d'eau pour atteindre le CP3. En contre bas, je vois des bosquets, des arbustes ainsi que des arbres...un peu d'ombre quoi !! Je m'y approche et doit chercher un coin où je peux m'asseoir dans une zone propre... Hé oui, c'est le genre d'endroit caché, un peu en retrait, très prisé pour satisfaire quelques besoins naturels. Après quelques minutes à l'ombre, un autre concurrent me rejoint. Il est français, son visage est rouge écarlate. On fait les salutations d'usage. Il est parti à 11 heures, il est donc dans les 50 premiers au classement général. Mais, pour lui (pas pour moi bein sûr...), la journée est très difficile, il n'avance pas, il souffre de la chaleur et voit sa place au général s'envoler. Il est dépité. Il retrouve le sourire avec quelques blagues sur les belges et il repart, je reste encore sur place. Auprès de mon arbre, je vivais heureux.... Finalement, je me décide à repartir. En haut de la montée, il y a une jeep de l'organisation. Je demande une bouteille d'eau, cela me fera 30 minutes de pénalité au général mais ce n'est vraiement pas important. La chaleur est vraiment forte d'autant plus que le vent souffle dans le dos. L'air chaud respiré par le nez ou la bouche assèche très vite les muqueuses et je dois boire, boire, boire.
Enfin, je vois, au (très très) loin, les drapeaux du CP3. Ce sera encore une paire d'heures de marche avec comme seule compagne depuis pas mal de temps, mon ombre. On se parle, parfois elle me répond...étrange...
J'arrive à hauteur d'une concurrente, le dos plié en deux, le sac à dos presque à l'horizontal. Je l'entends pleurer, souffrir. C'est Myriam, elle a 62 ans. Le CP3 est à 500 mètres environ. Elle me dit qu'elle a un lumbago depuis hier à cause du poids de son sac. Je lui propose de le porter jusqu'au CP. Elle refuse par crainte d'une pénalité pour nous deux. Je lui prends la main, et de l'autre je supporte son sac. Nous avançons à petit pas jusqu'au CP3. En passant le contrôle, les commissaires nous applaudissent, on vient de parcourir le lac asséché sous une température de 55°C. Myriam se dirige vers la tente des médecins. Au CP3, le spectacle est imprssionnant. Il y règne un calme lourd. Toutes les tentes de repos sont remplies. Les visages sont ailleurs, les regards se croisent mais sans aucune émotion. Qu'est-ce qu'on est venu faire là ? Je retrouve le français de tout à l'heure. Il est cuit, il ne se bat plus pour le classement, il prend le temps de bien se reposer. A la tente des docs, j'apperçois Laurence Klein, victorieuse de plusieurs MDS, couchée...dans la nuit, j'apprendrai qu'elle aura abandonné entre le CP3 & le CP4 pour déshydratation.
Je décide de rester au CP3 un long moment, attendre que le soleil se couche et que la température baisse. J'ai le souvenir d'être arrivé au CP3 vers 15...16h...il me reste une bonne marge pour atteindre le CP4 avant minuit. Il y a encore une quarantaine de kilomètres avant l'arrivée, et surtout, entre le CP3 et le CP4, il y a un cordon de dunes d'une dizaine de kilomètres à franchir. En ce qui me concerne, ce n'est vraiment pas prudent de partir maintenant. Je me repose, fais la connaissance d'Antoine C. (on repart cette année ensemble), pique un somme, me fais soigner l'ampoule au pied.
Je vois Gérald qui arrive au CP3, qui ne s'attarde pas et continue vers le CP4, gardant sa cadence de marche.
C'est vers 19h, quand le soleil se couche, que je décide de repartir. Je reçois une petite ampoule fluo qu'il faut accrocher au sac à dos, installe ma lampe frontale et me voilà parti pour une balade de nuit dans le désert...


Hygiène sur le MDS...

Une chose à savoir sur le MDS : l'hygiène et les sanitaires...
A la journée de contrôle, chaque concurrent reçoit un rouleau avec quelques sacs en plastic recyclé. A vrai dire, nous recevons 4 à 5 sacs, guère plus. En tout cas, vous n'avez pas assez pour toute la semaine.
Au niveau des toilettes,  c'est très rudimentaire !! Par bloc de trois, chaque espace propre est séparé par des bâches. Dans chaque espace, une chaise percée équipée d'une lunette tout confort !! Il vous suffit d'installer votre sac (comme une cuvette) et ensuite faire ce que vous avez à faire sans trop penser à ce que vous êtes entrain de faire !! Une fois terminé, vous fermez bien votre sac, et vous déposez le paquet dans une poubelle qui sera ensuite traitée par le camion incinérateur... En fait, c'est ultra hygiénique, aucun contact de planche etc etc...
Et le papier toilette ? Il n'est pas fourni du tout !! Et au milieu du désert, il n'y a pas l'épicerie du coin pour vous dépanner encore moins un night shop. Donc, il faut prévoir... C'est ce que j'avais fait. Mais comme sur le MDS, tout est une question de compromis entre confort et poids, j'avais prévu un certain nombre de feuillets de PQ... Evidemment, pas assez ! Au matin de la longue étape, je suis à court de PQ...Et, je dois dire que j'ai eu une idée de génie !! J'avais remarqué que pas mal de concurrents japonais se trimbalaient avec des sacs à dos énormes, et entre nous, nous nous demandions ce qu'ils pouvaient bien avoir dans leurs si gros sacs. Les japonais sont également réputés pour leur attention toute particulière à l'hygiène. Je me rends à une tente de japonais pour leur demander du PQ. L'un d'entre eux, avec un grand sourire généreux, me répond "Yes, Yes my friend", il ouvre son sac à dos, et il me montre un stock de rouleaux de PQ qui aurait pu servir tout le bivouac !!
Je repars avec mon rouleau généreusement donné à ma tente, et je suis accueilli en héros par mes compagnons de tente !!! ...pour un simple rouleau de PQ, mais au milieu du désert cela change tout !


Etape 3

EBEL EL OTFAL/JEBEL MOUCHANNE : 38 Km

Cette deuxième fut tout simplement magnifique !! Mais pas mal de dégâts chez les concurrents, beaucoup d'abandons et d'arrivées hors délai.
Au matin, on apprend qu'un concurrent suisse de la tente voisine a abandonné. Durant la nuit, il s'est levé pour satisfaire un besoin naturel, mais avec les efforts de la journée, il a eu un malaise et a fait une syncope. Dans sa chute il s'est ouvert l'arcade sourcilière et s'est cassé le nez sur une pierre. Nous compatissons.
Aujourd'hui, je me dis que c'est vraiment à la cool que je vais partir, demain c'est 75km. si je passe celle-là, plus grand chose devrait m'arrêter avant de franchir la ligne d'arrivée. Donc, on se ménage aujourd'hui et je décide de partir en marchant à côté de mon compagnon de fin d'étape de la veille, le grand Gérald.
Le départ est donné et nous partons d'un bon pas. La consigne de Gérald : un morceau de barre énergétique, 15 minutes plus tard, deux gorgées d'eau, 15 minutes plus tard, une pastille de sel, 15 minutes plus tard, deux gorgées d'eau, et 15 minutes plus tard, un morceau de barre énergétique,...
Je ressens une petite douleur  très gênante sous la malléole au pied gauche. Cela ne sert à rien de forcer, il faut soigner tout de suite. Je décide de m'arrêter et je laisse Gérald continuer. Je descends mon sac, commence à chercher mon petit matériel de pharmacie et je me concentre sur ma tâche. Une petite irritation, je désinfecte, applique un petit sparadrap. Je remballe toutes mes affaires, refais mon sac et me voilà prêt pour repartir. Et là, petite frayeur. je dois vraiment scruter l'horizon pour voir ce qui ressemblerait à l'avant dernier concurrent.... Je me retourne et je peux voir au loin le portique du départ. Je ne vois personne d'autre. A cet instant, je suis le dernier concurrent.
Mais combien de temps suis-je resté à l'arrêt ? Je me mets à courir pour rattraper la queue de la caravane. Ma petite voix intérieure me dit qu'il y a mieux comme démarrage soft !
Finalement, j'arrive à la hauteur de Gérald qui l'air de rien peut tenir un rythme de marche soutenu.
C'est ensemble que nous arrivons au CP1. Avec les bonnes sensations de ce matin, je laisse Gérald et décide de courir le plus possible jusqu'au CP2. Le terrain le permet : un lac asséché, du sable dur et un petit tronçon de mou. J'alterne la course et la marche et les sensations sont vraiment bonnes.
Enfin, j'aperçois le CP2, je cours. Soudain, une vive douleur me prend sous le pied gauche. J'arrive au CP2 et me dirige vers la tente médicale, je dois attendre mon tour. J'ai une ampoule qui a éclaté sous le deuxième orteil qui n'a pas été protégé par du strappe. J'en profite pour bien me réhydrater et m'alimenter pendant que je suis soigné.
Je repars. Il y a une côte à franchir et derrière ce sera du costaud. Au loin devant moi, je reconnais le chapeau blanc de Gérald. Mon moral en prend un coup. J'avais pourtant bien couru entre les deux CPs, mais Gérald avec son rythme constant m'a rattrapé et dépassé. Gérald s'arrête très peu au CP.
Je le rattrape et continuons la route ensemble. Après la côte, nous arrivons sur un immense plateau désertique en devers de sable mou. Il suffit d'aller tout droit pendant 10 km. Je ne sais pas avancer dans le sable mou. Gérald tient une bonne cadence. Nous devons éviter quelques arbustes. Gérald décide de passer par le haut tandis que moi, j'opte par le bas. Après le passage des arbustes, Gérald est 5 mètres devant moi, j'accélère le pas pour le rattraper mais je n'y arrive pas. C'est une dizaine de mètres à présent. Je l'appelle mais il ne m'entend pas. A chaque pas, il s'éloigne de quelques centimètres. L'étendue est gigantesque autour de nous. A perte de vue du sable mou en devers.  Le vent est soutenu et, heureusement dans le dos. Il fait chaud. Je mouille mes bras pour me rafraîchir avec ce vent. Je ne vois plus Gérald à présent, il est loin devant moi et mon moral est au plus bas. J'arrive à la hauteur d'une jeep de l'organisation. Le chauffeur me file un abricot sec, il enfreint déjà le règlement comme cela me dit-il... Je lui demande si le CP3 est encore loin. Il me répond que non, que c'est juste tout droit. Alors je me souviens l'étape d'hier où je voyais le CP au loin et qu'il m'avait fallu plus d'une heure pour y arriver. Là, je vois très loin, mais je ne vois aucune tente; aucun drapeau qui caractérisent le CP... C'est sûr, il y en a encore pour, au moins, plus d'une heure. C'est la galère. Je me pose beaucoup de questions sur l'intérêt d'être là, et l'intérêt d'un tronçon de sable mou d'autant de kilomètres. Avec 500 mètres, je pouvais bien comprendre l'idée d'évoluer dans du sable mou. 10 bornes, c'est trop !! 
Ce fut un des pires épisodes de ce MDS.
Après le CP3, je repars en compagnie de John, un british. Il a souffert comme moi sur le dernier tronçon de sable mou.
C'est ensemble que nous passerons la ligne d'arrivée de l'étape 3. Le moral un peu dans les talons avant la longue étape de demain.




Etape 2 

08/04/2013 : OUED TIJEKHT / JEBEL EL OTFAL : 30,7 Km

Yes ! J'ai fait la première étape du MDS 2013, j'y ai survécu ; voilà ce que je ressens au matin de la deuxième étape. Ce lever de soleil sur le bivouac est toujours un moment magique. La réalité me rattrape vite. Que vais-je manger pour mon petit déjeuner ? Je me force à avaler ma tambouille que j'avais prévue tous les matins : Céréales + sprotdéj' + lait en poudre +.....de l'eau. Rien à faire Yannic, tu dois te forcer...
Autour de moi, mes compagnons s'activent, chacun à leur rythme. Eric, tranquillement se réveille, reste assis dans son sac à contempler le spectacle des tentes qui sont démontées les unes après les autres par les berbères de l'organisation alors que certains concurrents sont encore dans un sommeil profond pour certains ! Gérald, le doyen, se prépare son café matinal. Cela fait du bien au moral de voir un homme de plus de 70 ans s'activer comme cela sans jamais se plaindre, et "heureux de vivre cette aventure avec des belges" comme il dit. Thierry, l'autre suisse, méthodique, déjà prêt, les affaires pliées, rangées, le sac bouclé !! Mohammed, choisit au hasard dans son sac le petit déj qui fera son bonheur ce matin !!
Une fois notre pitance avalée, nous devons faire la file pour recevoir nos bouteilles d'eau, cela nous permettra d'atteindre le CP1.
Je me dirige vers l'aire de départ. Au matin, des commissaires sont passés nous voir et pour nous demander d'être beaucoup plus ponctuels, car hier beaucoup de concurrents sont arrivés en retard et çà, Patrick, il n'a pas aimé. Moi non plus soit dit en passant, attendre sous le cagnard, ce n'est pas trop mon truc. L'étape est longue de 30,7km, hier c'était 38km, cela va être un peu plus cool.
L'aire de départ se remplit petit à petit. Patrick commence à parler au micro. Quelques informations sur l'étape d'hier : les résultats, le classement, les abandons...déjà malheureusement. Ensuite, les anniversaires du jour. Impressionnant et très émouvant d'entendre le "Happy Birdhday" chanté par plus de 1000 personnes. Ensuite, il aborde les détails de l'étape. "Alors, aujourd'hui les amis, c'est une magnifique étape, 30 km et vous aurez 12 heures pour la parcourir". Immédiatement, je comprends...nous comprenons..."Houlà" s'envole dans les aires. Hier, nous avions 10 heures pour 38 bornes, aujourd'hui 2 heures de plus pour 8 bornes en moins, on va déguster. Il continue : " 3 djébels à franchir. Un djébel, CP1 , un djébel à 15%,  CP2, dernier djébel et puis l'arrivée après un passage de dunes." Les concurrents se regardent, c'est par où la sortie ?? L'hélico vient de décoller, le départ va être donné dans quelques minutes. Il continue :"Profitez du paysage et de cette belle journée, vous êtes magnifiques".
J'enfile les premiers kilomètres sans trop de problèmes. La piste s'élève lentement, nous sommes en file indienne et j'aperçois les pentes du premier jébel Hered Asfer. Je suis dans la deuxième partie du gros peloton, nous montons à la cadence...du premier de la colonne, il est impossible de dépasser. Au sommet, la vue est tout simplement magnifique, magique, lunaire. Une vision à l'infini à 360° du sable, de la roche, des crêtes de jébel. Je vois très loin devant moi les premiers de la course, ou les derniers de la première moitié du peloton... Ensuite, nous marchons sur la crête, beaucoup de rochers, des marches naturelles à descendre ou monter. Je me sens bien, porté par ce paysage.
Arrivé au CP1, 2h10 après le départ, je prends mon eau. Il ne fait pas encore si chaud que cela. Je retire mes lunettes, ma casquette et je m'inonde la tête, cela me fait tout de même du bien. Pas trop de temps à perdre et je repars à l'assaut du deuxième jébel de la journée : jébel Joua Baba Ali avec 15% de pente. A peine quelques centaines de mètres parcourus, il y a quelque chose qui cloche, ce n'est pas comme "d'habitude"... M.... et re-M.... J'ai oublié mes lunettes au CP. Je me retourne, les tentes et les jeeps ne sont déjà plus qu'une image floue qui danse dans la chaleur... Tant pis, je ne vais pas faire demi-tour. J'arrive au pied de Baba Ali. C'est un mur de sable avec quelques rochers par-ci par-là et des concurrents perdus dans la pente... J'entame la montée sous un sable mou, et je recherche des appuis sur les rochers émergents. En haut du jébel, un doc est là...au cas où....
La vue est encore une fois splendide. Je fais une pause le temps de faire redescendre le rythme cardiaque, et de m'hydrater. La suite du parcours se déroule sur la crête, impossible de dépasser, des "à pics" de part et d'autre, je tente de profiter du paysage mais je dois rester concentré sur le terrain pour éviter la chute. Au bout de la crête, le serpent de concurrents vire à gauche et entame une descente de sable mou. Une descente longue, raide, dans un sable mou. Tout le monde se jette littéralement, c'est comme une poudreuse fraîche (sous 40°C....), mes pieds s'enfoncent jusqu'au mollet, les chocs sont inexistants....Cool !! J'aperçois au loin les drapeaux et les tentes du CP2. Come on Yannic, tu cours jusque là, et après plus qu'une dizaine de kilomètres et c'est l'arrivée.
Je cours. Je rattrape des concurrents. Je cours. Je cours depuis un moment. Je cours toujours. Mais le CP2 ne se rapproche pas. Je dois marcher un peu. J'ai mis plus d'une heure trente pour rejoindre le CP2. Je prends conscience de l'immensité du désert et de la bonne vue que j'ai !! Très fatigué, je décide refaire une bonne pause avant de repartir pour l'ascension du dernier jébel El Otfal.
Je suis rejoins par Gérald, le suisse, compagnon de tente, marcheur. Il me voit assis sous une tente. Quelques mots d'encouragement de sa part me font reprendre la route. J'ai bien dû me reposer une heure et cela m'a fait du bien. Ensemble nous entamons la montée. C'est un versant devenant de plus en plus raide, sans chantier particulier. Lorsque nous arrivons contre le flanc du jébel, il faut alors prendre à gauche un passage dans les rochers jusqu'au sommet. Un passage que vous empruntez souvent à quatre pattes pour mettre le poids en avant, le risque de tomber en arrière emporté par le poids du sac est vraiment présent. Nous montons par distance de 50 mètres, ensuite une pause de quelques secondes. Gérald souffre de la chaleur et de l'endroit qui exigent une condition physique et une agilité sans faille. Gérald est tout simplement impressionnant de calme et de volonté. Nous décidons de monter chacun à notre rythme. L'ascension se termine par un passage très raide et on doit s'aider d'une corde. J'arrive à hauteur d'un concurrent qui n'a vraiment pas bonne mine, un biélorusse qui vomit toutes ses tripes (c'est cela aussi le MDS :) ), des concurrents restent près de lui, le sommet est à moins de 100 mètres. Finalement, je franchis la crête et je profite d'un vent bien rafraîchissant qui avait été inexistant durant la montée, de l'autre côté du versant. Au loin, le camp. Mais je me méfie à présent...
Je décide d'attendre Gérald avant la descente. J'assiste au spectacle des autres concurrents qui arrivent au sommet et leurs visages qui se transforment quand ils aperçoivent le camp !!
Enfin, Gérald arrive. Grand respect pour lui sachant par où il est passé.
Nous entamons la descente ensemble, et nous sommes heureux de terminer cette deuxième étape ensemble. J'ai perdu 1H30 sur mon temps dans cette étape, mais cela est bien futile par rapport à cette rencontre que j'ai pu faire aujourd'hui.



Voyage – Arrivée au Bivouac

Le vol T0 1544 à destination de Ouarzazate est prévu le vendredi 5 avril à 9h10 au départ de Paris Orly et nous étions priés d’être à l’aéroport à 7h10. J’avais décidé d’arriver la veille à Paris. L’hôtel Mercure Orly était déjà réservé.
Je quitte la maison ce jeudi 4 avril en direction de la gare du midi pour prendre le Thalys de 15 heures et quelques…
A la gare du midi, un petit comité de supporters a fait le déplacement pour m’encourager avant le grand départ.

J’arrive à Paris, la Ville Lumière, totalement incognito… mais pas pour longtemps. Je me dirige vers le RER de la gare du Nord. J’ai très peu de bagages avec moi, un sac pour les affaires de l’hôtel et mon sac à dos, LE sac que je porterai tout au long de la course.
Dans le RER, je sens des regards tournés vers moi. Certains interrogatifs, d’autres accompagnés d’un clin d’œil complice… Bien évidemment, avec plus de mille participants en provenance des quatre coins du monde, je ne dois pas être le seul à avoir eu l’idée de passer une nuit à l'hôtel la veille du départ. Sur le trajet en direction d’Orly, un gars m’accoste. Il doit avoir 35…40 ans, une silhouette bien taillée pour le trail en tout cas mais bien mieux taillée que moi. Il me parle en français. « Tu pars pour le MDS ? ». Entre initiés, on ne parle pas du marathon des sables, c’est déjà long comme cela, alors quand il faut le dire  "MDS", c’est mieux ! « Oui. Salut, je vais au Mercure d’Orly ». « Salut, je vais à l’Ibis ». « Je m’appelle Yannick, premier MDS ?» me dit-il en me tendant la main droite. « Cool, comme moi, Yannic aussi, mais sans ‘’k’’  et mon premier MDS également.». Et je me fais repérer par mon accent du nord. « Tu viens de Belgique ? ». « Oui ». Je vois alors une expression sur son visage. « C’est ton blog ‘’Yannic-MDS 2013’’ ? ». Je n’en reviens pas. Cette aventure commence très bien. Vous pouvez imaginer que je suis comme perdu à Paris, le premier type que je croise m’accoste, il s’appelle Yannick et connaît le blog. A cet instant, je suis comme sur le cul !! Désolé, je n’ai pas trouvé d’autre expression.
Le temps de cet échange et nous arrivons à l’aéroport d’Orly. Nous marchons dans les différents halls de l’aérogare pour aboutir au parking des navettes qui desservent les hôtels présents sur le site de l’aéroport. Yannick prend la navette pour l’Ibis tandis que moi, je prends la navette pour le Mercure au parking 9. Yannick a le dossard 259, et terminera son MDS en 31h à la 115e place. Respect.
Je monte dans le minibus. Je croise un autre regard, un clin d’œil. J’ai compris le code.
-     -  MDS ?
-      - Oui, comment t’as deviné ? je réponds avec le sourire.
Il s’appelle Denis, et il a l'accent chantant du sud, il vient de Montélimar.
Le bus arrive à destination et s’arrête devant l’entrée de l’hôtel. Denis prend ses deux sacs…non, un seul sac. Un grand sac au motif treillis militaire. Ce sac me semble lourd mais si léger dans la main de Denis. En descendant du bus, je peux constater la carrure du gars. Genre para commando-légionnaire, genre que si on est perdu dans le désert et qu’il me demande de porter son sac, j’accepterai sans hésiter une seule seconde, voyez-vous ?

Après les modalités administratives du check-in, la recherche du réseau wifi de l’hôtel,  après avoir averti mes supporters sur FB que je suis bien arrivé à Paris, je retrouve Denis au bar avant le dîner. On échange nos impressions, nos ambitions, nos objectifs. Bon, ma première impression sur le gaillard a un peu évolué. C’est un chauffeur routier dans le civil, qui fait beaucoup de randonnées durant ses loisirs. Pour son premier MDS, il ne vise aucune place au classement général, il souhaite juste le terminer et l’occasion pour lui de faire un peu le point sur sa vie. Il portera le dossard 204 et terminera à la 904e place.
Nous  mangeons ensemble, un dernier bon steak saignant avant le désert ; c’est toujours cela de pris.

La nuit à l’hôtel a été mauvaise. Moi qui ai l’habitude de dormir la fenêtre grande ouverte 365 jours par an, il est impossible d’ouvrir la double fenêtre (on est tout proche de l’aéroport) et il y a une chaleur étouffante. Je tente même de dormir avec la porte de la chambre ouverte mais ce n’est vraiment pas sécurisant et je la referme donc et ne dors pas.

Denis et moi arrivons à Orly à 7h10 comme demandé dans le courrier envoyé par l’organisation. Plusieurs vols étaient prévus ce vendredi 5 avril, le nôtre est annoncé pour 9h10. La file devant les guichets du check-in est déjà importante et l’excitation est bien palpable. Je retrouve Eric Philippart dans la file, il est à une quinzaine de places devant moi. Il a passé la nuit à l’Ibis. On fait connaissance avec d’autres participants et les questions fusent.
-       Qu’est-ce que tu mets comme bagage en soute ?
-       Certainement pas mon sac à dos, l’an dernier, il est arrivé avec l’avion suivant, j’ai stressé comme une bête…
-       Les bidons ? ils passent le contrôle ?? et le canif ?
-       Tes chaussures de course ?? avec toi, ne les mets pas en soute…
Il faut prendre une décision. Je prends mon sac à dos complet dans l’avion. J’avais mis mes chaussures de course aux pieds, les bidons et la poche avant du sac dans mon bagage pour l’hôtel qui sera mis en soute. J’ai tout récupéré à Ouarzazate quelques 4h plus tard.

Dans l’avion, je suis assis à côté d’Olivier, français, il participe à son troisième MDS. Quatre heures de vol, on a le temps de parler et de recevoir des conseils précieux. Notamment la gestion de la course ; ne pas partir trop vite le premier jour, le MDS est très long et il faut se ménager, garder des réserves pour la longue étape. « Et si tu termines la longue étape, t’auras gagné ton MDS, le mental sera là pour terminer même à 4 pattes ». C’est lui qui m’a conseillé la protection des pieds au strappe. Lui, il se protège complètement les pieds avant la première étape et ne touche plus à rien jusqu’à l’arrivée. Bon, il reconnaît qu’au niveau hygiène, ce n’est pas l’exemple et que l’odeur fouette pas mal quand il enlèvera le tout à l’hôtel, mais 0 ampoule sur les deux éditions précédentes. Olivier portera le dossard 344, terminera à la 376e place en 38h16’01 ‘’.

L’avion atterrit à  Ouarzazate sous un beau ciel bleu et une température très agréable. Une fois les formalités administratives accomplies, nous récupérons nos bagages. A la sortie de l’aéroport, c’est Patrick Bauer en personne qui nous serre la main et nous souhaite la bienvenue au Maroc, la bienvenue sur le Marathon des Sables.

Il y a quatre bus qui nous attendent, je monte dans le premier. Nous partons en convoi, encadrés par des jeeps de l’organisation. Après 1h30 environ de voyage, le convoi s’arrête au bord de la route, il est passé 13 heures, nous allons prendre notre lunch. Il n’y a rien autour de nous, nous recevons un sac en papier et un morceau de pain marocain. J’ouvre le sachet. Il contient un sachet d’abricots secs, des cacahuètes (très) salées, une compote de fruits, une salade de lentilles, une portion de saucisson sec  apéritif.
On doit manger à même le sol rocailleux et sablonneux ou bien, on peut manger debout…

La suite du voyage fut longue, très longue, interminable. L’occasion de faire plus ample connaissance avec William Porge de Paris, 66 ans, et il participe cette année à son sixième MDS. Il porte le dossard 148. En lisant le roadbook que nous avons reçu au début du voyage en bus, il reconnaît la deuxième étape, celle des 30km avec le passage des 3 Djebels. Il veut me rassurer et me dit : « elle sera terrible !! ».
Finalement, après plus de 5h30 de routes sinueuses, le bus ralentit et s’arrête au milieu de nulle part. Nous sommes tous fatigués mais aussi très excités de pouvoir enfin voir le bivouac, d’y poser nos sacs et de vivre notre aventure autrement que dans notre imaginaire. Le bus redémarre et l’excitation se transforme en un instant en nervosité que Sandrine, notre GO, a un peu de mal à contenir. En effet, cela fait 5h30 que nous sommes dans ce bus, nous avons tous bu plus d’un litre et demi et l’envie de se soulager est très forte. Il parcourt encore 1 km environ. Et je découvre enfin le bivouac au loin, il nous reste encore le transfert avec les camions de l’armée.



J’arrive le premier à la tente 53, elle est encore inoccupée ; les Belges et les Suisses doivent se partager les tentes 51 à 55. Je suis ensuite rejoint par Thierry et Gérald, les deux suisses de la tente  53, ensuite arrivera Mohamed et Eric. Nous sommes à présent 5 sous la toile noire, du monde va certainement encore arriver. Une forte pluie était tombée quelques heures avant notre arrivée et les traces au sol étaient là pour nous l'indiquer. Le vent soufflait encore fort, le ciel était gris et très bas.
Nous sommes toujours cinq sous la tente, aucun autre concurrent n’est venu se rajouter.
Nous faisons très rapidement connaissance. Thierry et Gérald, tous les deux suisses, ne se connaissaient pas et allaient relever leur deuxième MDS. Mohamed et Eric, comme moi, en étaient à leur première participation. L’obscurité arrive très vite dans le désert, et sur le conseil de nos deux helvètes, nous préparons nos paillasses pour la nuit, ajustons nos lampes frontales et ensemble, nous partons vers « le restaurant ». L’autosuffisance alimentaire commencera dimanche matin, d’ici-là, c’est l’organisation qui s’occupe de nos repas. Ce soir, ce sera un couscous. Nous mangeons sur des tables basses à la belle étoile, à la lumière de nos frontales.

 Je suis quelque part au milieu du désert, entouré de plus de 1000 personnes issues de plus de 45 pays, je vais participer à une des courses à pieds les plus difficiles au monde, c’est tout simplement magique.

Journée de Contrôle

La nuit fut très agitée et je n’ai pas beaucoup dormi. Le vent a soufflé très fort en première partie de nuit, s’est calmé et est reparti de plus belle en fin de nuit. C’était notre première nuit sous la tente, il faut s’habituer. Gérald rassure les trois belges en disant que cette nuit a été particulièrement difficile mais que ce n’est pas tout le temps comme cela, c’est même plutôt exceptionnel. Mais surtout nous devons revoir la fermeture de la tente. Abaisser des piquets, et mettre des grosses pierres sur la toile pour éviter qu’elle se lève avec le vent. Mon sac de couchage est recouvert d’une fine pellicule de sable. La fin de nuit a également été très froide, en tout cas suffisamment que pour me réveiller.
Mais le fait d’avoir très mal dormi m’a permis de voir le lever de soleil sur le désert. Il n’y a pas de mot pour le décrire, couché dans mon sac de couchage, voir les formes noires des tentes devant moi qui coupent le ciel, qui offrent un éventail de couleurs extraordinaires allant du rose, là où le soleil passera bientôt au-dessus du Djebel situé à plusieurs kilomètres devant moi, jusqu’au bleu foncé océan à l’autre bout du ciel. Il doit être cinq heures du matin. Je profite de ce moment et je prends conscience du mot « privilégié ». Je ressens immédiatement la chaleur dès que l’astre solaire passe la crête, nous sommes éblouis. Mon premier réveil sur le bivouac, je vis un rêve éveillé.
Merci la vie.

Nous partons tous les cinq vers la tente « Restaurant » pour prendre notre petit déjeuner.
Au retour à la tente, je dois me préparer pour passer les contrôles. Me séparer du bagage qui est destiné à l’hôtel et surtout effectuer les derniers bons choix. Ce ne sera pas un gros dilemme car je n’ai pas grand-chose dans mon sac pour l’hôtel et dans mon sac de course, je n’ai pas grand-chose en extra : un deuxième caleçon, une deuxième paire de chaussettes, la photo de mes enfants….et le matériel obligatoire ainsi que la bouffe. Je demande à mes collègues de tente de soupeser mon sac ? Ils sont tous unanimes pour dire qu’il fait plus que 9,5 kg.





Comme exigé par l’organisation, je me présente devant « le contrôleur » avec mon passeport. Il contrôle la ressemblance avec la photo, le nom ainsi que le numéro de dossard que je devrais recevoir : le 287. Je laisse mon sac d’hôtel en ayant pris le soin d’y remettre mon passeport. J’y ai également laissé mon gsm. Il ne me servira pas à grand- chose, je ne pourrai pas le recharger et ce matin je n’avais pas de réseau sur le bivouac.




Je suis le flot des concurrents au travers des tentes. Je reçois mon chip que je devrai fixer à la cheville pour comptabiliser les temps de passage, on vérifie qu’il indique bien le 287. La table suivante, je reçois la fusée de détresse ainsi que les 120 pastilles de sel. Elle est très lourde cette fusée… Une infirmière très sympathique m’explique comment prendre ces pastilles : 2 pastilles par bouteille, au-delà de 4 heures de course, je ne dois pas hésiter à prendre 4 pastilles par bouteille. A avaler comme un cachet d’aspirine avec un peu d’eau, ce n’est pas nécessaire de la laisser fondre dans la bouche. 


Ensuite, je passe chez les docs pour l’électrocardiogramme. Je présente les deux documents : le certificat de l’organisation rempli par mon médecin ainsi que mon électro. La doc’ regarde l’électro, le scrute…Le temps me semble anormalement long. Très vite, je me dis « ça y est, y a un truc qui a foiré, et tu ne vas jamais prendre le départ…ils vont bien se foutre de ta gu…en Belgique ». La doc’ me dit que mon électro est bon mais il n’est pas complet. Le tracé ne reprend pas toutes les électrodes. Elle ne veut prendre aucun risque. Je dois me rendre à la tente « Hôpital » pour effectuer un nouvel électrocardiogramme qui se révélera tout à fait normal.
Ensuite, le sac à dos est pesé. Et là, je suis étonné de voir l’aiguille du peson passer les 10kg et de se caler sur 12,5. Mon sac fait (ferait) 12,5 kg !!! C’est beaucoup trop lourd. Très vite j’arrive à la conclusion que j’ai trop de bouffe. Cela ne change rien sur le contrôle, mon sac à dos est dans la fourchette de poids autorisée. Je réponds à quelques questions sur la composition de la nourriture prévue. Je reçois mes deux dossards, l’un à mettre sur le sac, l’autre sur le torse, bien visible entre les bretelles du sac.
L’ordre de passage est organisé selon les numéros de dossards. Je suis passé assez tôt dans la matinée, vers 10h00. Je peux retourner à ma tente, alors que d’autres concurrents devront attendre le début d’après-midi pour faire ce contrôle. J’informe mes collègues du poids de mon sac. Je déballe tout sur le tapis de la tente et le constat de mes camarades est sans appel : j’ai beaucoup trop de nourriture. Je fais le tri sur les barres énergétiques emportées, les sachets de poudre à mettre dans l’eau, des repas,… Je vais re-peser mon sac à la tente « Information », il fait 9,5kg, et à l’estimation, cela me semble correct.
Le restant de la journée est rythmé par le repas du midi (assiette froide, charcuterie, taboulé, tomates), la sieste et le premier briefing à 17h du directeur de course, Patrick Bauer. Cela se passe au milieu du bivouac. Patrick et son assistante, Kate, qui fera la traduction anglaise, sont perchés sur le toit d’un 4x4. Nous sommes tous rassemblés en forme de cercle autour de la jeep. Nous écoutons le programme de la semaine, les consignes générales, les consignes sur l’eau et les pastilles de sel. Ensuite, il présente les vainqueurs de l’édition 2012, Laurence Klein chez les femmes et Salamé chez les hommes. Ensuite il passe en revue les participants un peu hors du commun : deux aveugles qui seront accompagnés d’un guide, Mohamed Lahna qui a un handicap à une jambe, il portera une prothèse carbone, l’équipe de Transavia qui poussera une geoélette avec des enfants handicapés. Tous ont été longuement applaudis par les concurrents. Il règne une atmosphère toute particulière en cette fin d’après-midi sur le bivouac quand Patrick énumère les différentes nationalités. A chaque nation citée, un « hourra, » une acclamation, des cris s’échappent de la foule et l’émotion me gagne. Toute l’Europe est presque présente, la Russie, l’Afrique du Sud, la Chine, le Japon et la Corée, l’Australie, les Etats-Unis,….et la Belgique !!! avec ses 22 participants.

Avant de partir pour le repas du soir, nous devons nous rassembler à un endroit précis, derrière les cordes attachées à des piquets. On entend le bruit de l’hélicoptère qui décolle pour prendre la photo du « 28 » formé par les concurrents et qui sera dans tous les reportages à venir. Le soleil va bientôt se coucher, il y a une lumière rasante toute particulière. La vue de l’hélicoptère doit être splendide, je verrai cette photo à mon retour.


Nous nous retrouvons à la tente 53. Il ne faut pas oublier notre lampe frontale car la nuit sera tombée quand nous reviendrons. C’est un spaghetti bolognaise et une soupe de champignons qui constitueront notre dernier repas avant le passage à l’autosuffisance.


Etape 1 Jebel Irhs – Oued Tijekht : 37,2 km

Nous avions réussi à abaisser la toile d’un côté de la tente ce qui empêchait le vent de s’y engouffrer. C’est Gérald qui nous réveille de sa douce voix « il est 5h40 »… Chacun s’étire dans son sac, et pense déjà à la grande première journée qui nous attend. Déjà réveillé avant Gérald, j’étais parti dans mes pensées en contemplant le lever de soleil sur le bivouac. Je pensais à ce qu’Olivier m’avait dit dans l’avion concernant la protection des pieds avec le strappe. Et même si je n’avais jamais testé le strappe en Belgique, je me dis que cela ne peut pas faire de tort. Alors que mes collègues de tente se réveillent, je me mets au travail sur mes pieds. Je commence par protéger les deux gros orteils, les petits orteils extérieurs ; ensuite l’avant des pieds, je protège les parties latérales, ainsi que la plante des pieds. Tout cela m’a bien pris 40 minutes. Je n’ai pas encore pris mon petit déjeuner, je dois m’activer pour ne pas commencer la course le ventre plein. Je dois encore me rendre au centre du bivouac chercher les bouteilles d’eau, me changer, ranger mes affaires et faire mon sac.
Virginie, une GO de l’organisation, passe nous voir pour nous communiquer les informations nécessaires avant le départ. Rendez-vous à 8h00 à l’aire de départ pour un départ à 9h00. Elle continue. L’étape sera longue aujourd’hui, 37,2km et elle est difficile pour une première étape. Pensez à bien prendre vos pastilles de sel et buvez régulièrement. Il y a un silence dans la tente qui reflète toute notre attention.

Le premier à être prêt est Thierry. Et ce sera le cas tous les matins. Réglé comme une montre suisse, Thierry est super bien organisé sur le bivouac ; pas un geste de trop, rien n’est superflu.
C’est ensemble que nous nous rendons à 8h00 vers l’aire de départ qui est déjà inondée de soleil et de chaleur. Pour son premier briefing, Patrick Bauer veut nous donner beaucoup d’informations et cela prendra du temps. Petit à petit, les concurrents arrivent alors que d’autres, comme nous, sont immobiles sous la chaleur matinale. Enfin, quand la majeure partie des concurrents est arrivée, Patrick Bauer nous souhaite la bienvenue. Il rappelle l’importance des pastilles de sel et la gestion de l’eau. 37,2 km pour cette première étape avec un CP1 au kilomètre 13,4, le CP2 au kilomètre 24,8. Il insiste sur le fait que le CP2 est à 13 kilomètre du bivouac, ce sera l’après-midi et il fera chaud.
Nous avons un peu plus de 10 heures pour effectuer la distance. On entend l’hélicoptère décoller dans un nuage de poussière. Le départ est annoncé pour dans 45 secondes. ACDC dans les haut-parleurs de la sono. Je suis très ému d’être là et je ne ressens aucune peur, aucun stress par rapport à la journée qui m’attend. Le compte à rebours est lancé par Patrick et repris par tout le monde : « 5-4-3-2-1…..Parteeeezzzzz !!! Vous êtes Magnifiiiiques » crie Patrick dans le micro. Je passe sous la banderole de départ. Voilà, j’y suis, je commence à courir dans le désert !!! Un premier passage bas de l’hélicoptère, tout le monde lève les bras pour le saluer ; et un second….et un troisième. La masse de coureurs s’étire devant moi et derrière moi, ouf je ne suis pas le dernier, il y a du monde, beaucoup de monde derrière moi.
Dès le départ, c’est très clair dans ma tête : ne pas me mettre dans le rouge, ce sera une étape découverte. Découvrir le sable, la chaleur, le poids du sac. Je garde une bonne moyenne jusqu’au CP1 . Je bois régulièrement mes gorgées d’eau et j’avale mes pastilles de sel. Ces dernières ne me posent pas de problème, je ne ressens pas de douleur à l’estomac ce qui n’est pas le cas pour d’autres concurrents. Philippe, Mohamed et Thierry sont bien devant, ils courent tout le temps ou presque, alors que moi j’alterne marche et course. J’arrive au CP1 à 10h52, soit 1h52 après le départ. C’est le premier CP, je prends le temps de boire le restant d’eau que j’ai, je refais le plein de mes bidons en y ajoutant les poudres énergétiques. J’ai les épaules qui brûlent un petit peu à cause des bretelles de mon sac. Je me rends à la tente des docs pour me faire poser deux bandes larges de strappe. L’infirmière constate que j’ai la peau irritée mais ce n’est pas encore à vif. Je garderai ces deux bandes de strappe toute la semaine. Elles m’auront bien protégé et éviter des douleurs jusqu’à l’hôtel. Sous la tente des docs, il y a déjà des personnes couchées, les jambes en l’air, se faisant soigner les pieds. Je vois des pieds explosés. Je ne comprends pas. Nous avons parcouru à peine 13,4 km, il en reste plus de 200. Les pauvres, ils vont souffrir encore toute la journée et le reste de la semaine. Je regarde leurs chaussures, ce sont des godasses comme vous prenez pour aller en salle de gymnastique mais pas pour un MDS…je comprends mieux les ampoules et les pieds explosés de la blonde…oui oui, c’était une blonde. Je repars pour le CP2 qui se situe au kilomètre 24,8. Le roadbook indique un passage vallonné, rocailleux et ensuite un passage de dunes de 2,6 kilomètres juste avant le CP2. Je reste encore sur un bon rythme, je sens la température monter, ce n’est pas étonnant quand on est là où je suis. Et je me rends compte que les barres énergétiques vont m’empoisonner la vie durant le restant du MDS. L’odeur et la texture, combinées à la chaleur et l’eau chaude ne me plaisent pas du tout. Et oui, sous une température de plus de 35°C, l’eau dans les bidons prend très vite de la température et cela ne me désaltère pas…enfin pire que ce que j’avais imaginé. Je cours quelques kilomètres avec des compatriotes. Au kilomètre 22,2, je rentre dans le tronçon de dunes de sable mou. Comment décrire ? C’est comme si je marchais sur de la glue, je suis littéralement collé au sol. Il m’est impossible de courir, je dois marcher. Et même marcher c’est difficile. Aucun appui n’est stable, à chaque fois mon pied glisse, se met de travers. Je me fais dépasser par plusieurs concurrents que j’avais dépassés quelques minutes auparavant quand je courrais… Tout çà pour cela… J’observe leur technique…Tout en marchant, ils ont l’air de voler, de surfer sur ce sable et moi je reste sur place, et je m’épuise à devoir lever les pieds pour ne par rester coller. J’entends des bruits de grognements derrière moi, comme si un animal, un chien me suivait. Je me retourne, je ne vois rien d’animal… Je vois au loin, une silhouette courbée qui trottine, qui avance, et qui émet des bruits d’une respiration haletante. La silhouette arrive à ma hauteur, me dépasse et continue sa route. Elle doit mesurer 1,55m à tout casser. Mais je dois me rendre à l’évidence, la dame avance, et avance plus vite que moi. J’ai pu voir aussi son teint bronzé, sa chevelure noire et lourde et ce visage caché derrière ses lunettes noires, sa bouche ouverte qui inspire le plus possible d’air chaud. Elle porte le même sac à dos que moi. Son sac affiche le dossard 1024 et porte le nom d’Analice - BRA. Analice est brésilienne (BRA), elle a 69 ans et terminera ce MDS en 46H41’. Je mettrai plus de 20 heures qu’elle pour boucler les 225 km. Total respect Madame. A Merzouga, elle montera sur le podium car elle termine première de sa catégorie…Très honnêtement, je ne sais pas s’il y a d’autres concurrents dans sa catégorie, et on s’en fout après tout !! J’essaie de la suivre….je tiens quelques dizaines de mètres et je la laisse partir, disons que je suis obligé de la laisser partir. Mais j’ai retenu sa technique, des petits pas, trottiner, se faire le plus léger possible. Evidemment, il doit y avoir 35kg entre Analice et moi… Finalement, j’arrive au CP2, il est 13h25. Je scrute les concurrents encore présents, Analice n’est (déjà) plus là…. Comme au CP1, je vide mon eau, je remplis mes bidons, je mange un peu…j’essaie de manger un peu et me repose quelques instants. Mes deux premiers kilomètres de dunes m’ont fatigué et j’ai pris un petit coup au moral. Disons que je dois prendre du recul er revoir autrement la course. Pourquoi courir quand tu vas te faire remonter dans une zone de sable ? Cela ne sert à rien de t’épuiser, il vaut mieux s’épargner pour trottiner un peu dans le sable mou…plus tard. Le bivouac est à 12,4 km et il n’y a plus de sable mou. Je décide de partir et de refaire « un peu » mon retard. J’ai quand même 24km dans les jambes, mais je ne sens rien au niveau crampes et courbatures. Par contre, je sens que je ne mange pas comme il faut, à défaut, je bois. Environ 3 kilomètres après le CP2, je sens les intestins qui travaillent. Je tente de continuer car l’endroit est désert, impossible de m’arrêter dans cette étendue plate avec des concurrents devant et derrière…mais je vais tout de même devoir m’arrêter, je n’y échapperai pas. A gauche de la piste que nous suivons, il y a quelques bosquets. Ils sont à une distance d’environ 300mètres….aller-retour, cela fera tout de même 600m. Je n’ai pas le choix, je dois m’y rendre…je dois soulager mes crampes intestinales. J’ai perdu pas mal de temps dans cette aventure. Je reviens sur la piste initiale et je suis un couple. Elle est devant, lui est derrière. Elle n’arrête pas de parler. En tendant l’oreille, je constate qu’elle décrit minutieusement le relief et je comprends que lui est aveugle. Je reste quelques minutes derrière eux en admiration, je les dépasse.  J’attaque une petite passe sablonneuse montante, la pente est suffisante pour sentir le rythme cardiaque s’accélérer et le souffle également. Au sommet, il y a plusieurs concurrents assis qui me tournent le dos, d’autres sont debout les bras en l’air comme s’ils avaient franchi la ligne d’arrivée. A mon tour j’atteins le sommet. Je lève également mes bras. Je vois les tentes noires du bivouac qui s’étalent dans la plaine immense. J’y suis. Je vais terminer cette première étape. Entre le bivouac et l’endroit où je me trouve, je vois un cordon de concurrents, beaucoup marchent, certains courent. Il y a encore 3 kilomètres à parcourir.
Quand je repars, un autre concurrent m’emboîte le pas et me demande : cela te dit de la finir ensemble ? Avec grand plaisir !! Il a un accent reconnaissable entre mille. Il s’appelle Carl, porte le dossard 1043 et vient du Canada. Il a 34 ans. Nous terminons l’étape ensemble et ces trois derniers kilomètres en sa compagnie resteront pour moi un moment de rencontre inoubliable. Il avait déjà les deux pieds explosés par les ampoules, ils pensaient en avoir deux ou trois ; mais quand il s’est arrêté à la tente des Docs au CP2, le doc en a soigné plus d’une dizaine sur les deux pieds. Mais il me raconte cela avec un large sourire, qui ne masque pas la douleur, mais il est tout simplement heureux d’être là et prend pleinement conscience que nous sommes privilégiés d’être là à cet instant parmi tous ces gens issus de divers pays. Nous franchissons la ligne d’arrivée ensemble, il est 16h40.
Je croiserai Carl plus tard sur la course.

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